Le festin des hyènes
Comme chaque matin depuis que la Terre supporte ce vieux continent noir de soleil, balafré de pistes poussiéreuses et bordées d’épineux, les femmes sont de corvée d’eau. Elia avec les autres, elle qui voudrait aller à l’école comme ses frères. Mais ce jour- là, les singes hurleurs, les barbicans et les pygargues vocifères accompagnent ses premiers pas hors du village, couvrant de leurs cris la musique creuse des bidons accrochés aux flancs de l’âne. Elia n’y prête pas attention. Peut-être devrait-elle. Peut-être leur ramage veut-il la mettre en garde. Car depuis que son premier sang menstruel a coulé, à son insu son sort en a été jeté. Elle sera, Elia, soumise au Kusasa fumbi, ce rite sexuel selon lequel les vierges sont déflorées par des hommes que l’on appelle les hyènes.
Après La Chaise numéro 14, avec ce roman situé au Malawi, Fabienne Juhel interroge une nouvelle fois les rapports de force au sein d’une communauté et la figure du paria. Mais elle fait vivre aussi par la force de sa poétique si singulière un territoire riche d’espèces panchroniques, où l’homme n’est jamais bien loin de ses prédateurs, le monde même où s’est forgée l’humanité.